Amnésie de la domination Julie Crenn L’œuvre de Brigitte Zieger engendre différents niveaux de lecture. Dans un premier temps, nous sommes face à une toile de Jouy vidéoprojetée, le portrait d’une femme réalisé au maquillage, l’ombre peinte d’un avion à échelle 1, un ensemble de bas-reliefs en résine blanche ou encore des sculptures de silhouettes, masculines et féminines, se tenant debout, ou allongées dans l’espace. Les œuvres, aux tonalités douces, acidulées ou totalement neutres, font appel à un imaginaire collectif où chacun peut trouver un espace d’identifcation. Les choix des matériaux et des sources iconographiques créent des échos intimes et culturels. Pourtant, en regardant avec attention, l’artiste nourrit les références esthétiques d’une réfexion critique. Le papier peint projeté est animé, des résistants et des réfugiés s’y déplacent avec vigilance ; la femme réalisée au maquillage est armée, elle nous tient en joug ; l’ombre de l’avion pourrait être celle de l’attaque du 11 septembre ; les hommes et les femmes moulés dans la résine blanche et noire appartiennent à différentes époques, ils.elles sont les acteur.trice.s de luttes militantes et activistes (Mouvements féministes, antiracistes, pacifstes des années 1960-1970 à aujourd’hui). La menace d’un soulèvement et/ou d’une action violente est rendue présente. L’image, qu’elle provienne d’un manuel d’histoire de l’art, d’un magazine de mode ou d’un journal d’information, est envisagée comme un matériau que l’artiste s’emploie à déconstruire et à déplacer. Parce qu’elle dépasse le cadre d’une bidimensionnalité inhérente à son statut, l’image est augmentée dans son acceptation physique. Elle se joue ainsi de l’espace et du corps. Il nous faut par exemple contourner les volumes pour en découvrir les vides, les manques, la surface et la matérialité. Brigitte Zieger procède à des prélèvements d’images imprimées auxquelles elle donne une nouvelle existence : matérielle, physique, politique. Icônes anonymes Les fgures résistantes, contestataires, désobéissantes et activistes traversent l’œuvre de Brigitte Zieger. Elle analyse, étudie et répertorie ces fgures en examinant mouvements advenus depuis les années 1960. À travers la récolte d’images d’archives (imprimées et flmées), l’artiste identife les individus, les icônes souvent anonymes de ces mouvements. Elle extrait les corps des images pour réaliser des œuvres en volume, des représentations tridimensionnelles : creuses, fragiles, incomplètes, fgées. En respectant l’archive originale, Brigitte Zieger donne corps aux fgures résistantes. Dans la salle d’exposition, elles agissent à la fois de manière individuelle (elles ne partagent ni la même temporalité, ni le même combat, ni la même culture), et forment aussi un groupe. Un homme est allongé sur sa moto, une femme tend une rose, un enfant pousse une roue, une jeune femme tire la langue et porte un pavé dans sa main, un jeune homme étendu sur le sol lit un livre. Ils.elles occupent le terrain, provoquent, se dressent, s’interposent, prépare le terrain, attendent, s’obstinent. Teintées de noir, les silhouettes fonctionnent comme les réminiscences de mouvements passés et/ou récents, d’engagements collectifs, d’utopies résistantes.Réunir les silhouettes dans un même espace équivaut à rassembler les fragments d’une histoire des luttes. Anonymous Sculptures peut ainsi être envisagé comme un travail de commémoration transtemporelle et transculturelle de luttes plurielles menées contre la pensée hégémonique, contre le sexisme, le racisme, le néo-colonialisme, le libéralisme et toutes les formes d’injustices. Si les monuments commémoratifs font la part belle aux soldats morts au front ou aux « Grands Hommes », Brigitte Zieger revisite la notion de héros et héroïnes de l’Histoire en mettant en lumière les résistant.e.s anonymes.
LACMA, Los Angeles, installation vidéo, 9’30’’, son stereo, 2006. Collection permanente, Hammer Building, acquisition 2015.
Metamatic Reloaded, Musée Tinguely, Bâle. 2013. Shooting Wallpaper.
Installation multiprojection interactive sur quatre murs de projections.
Exposition Digital Nature, installation vidéo de Bewildered avec 4 projections de 24 m (ci-dessus un des deux murs de 12m).
Los Angeles County Aboretum, 2018.
Bang, Bang ! Kunsthalle Andratx, Women are Different from Men, dessins à l’ombre à paupière et paillettes, 108 x 84-145 cm, 2011.
Exposition What if…?, Kunstverein Mannheim, Sculptures anonymes, résine, installation avec graffiti mural, 2016.
Exposition Other Szenes, Void Derry Art Centre. We the Indians Discovered America, vidéo 3D, dyptique 5mn 26s et 5mn 53s, 2017
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Eva L’Hoest (Liège, 1991, Belgique – vit et travaille à Bruxelles ) explore les façons dont toutes les natures d’images mentales, en particulier le souvenir et la réminiscence, trouvent à se re–matérialiser dans une forme technologique. Elle poursuit avant tout l’exploration de la mémoire et de son infime et étrange réalité subsistante. Pièces après pièces, l’artiste s’approprie les technologies de son contemporain pour révéler à la fois leur nature de prothèses d’appréhension du monde et leur potentiel en tant que médium artistique.
Son travail a été récemment présenté à la quinzième Biennale de Lyon, Lyon (France) curaté par le Palais de Tokyo, la Triennale Okayama Art Summit 2019 “IF THE SNAKE” curaté par Pierre Huyghe, Okayama (Japon), « Suspended time, Extended space » Casino Luxembourg (Benelux), « Fluo Noir » (BIP2018, Liege, BE), « WHSS » (Melange, Koln, DE), Mémoires (ADGY Culture Development Co. LtD., Bejing, CH), Trouble Water (Szczecin Museum, Szczecin, PL), « Now Belgium Now» (LLS358, Antwerp, BE), « Chimera : Marcel Berlanger, Djos Janssens et Eva L’Hoest» (Meetfactory, Prague, CZ), « Marres currents #3:Sighseeing » (Maastricht, NL).
Ses films ont été programmés récemment sous la forme d’une performance à la dernière édition du IFFR à Rotterdam, ImagesPassage à Annecy, le MACRo Museum à Rome, les Rencontres Internationales Paris–Berlin en 2018 ainsi que le Visite Film Festival à Anvers.
Mélodie Mousset (*1981, Abu Dhabi, vit à Zurich) utilise son propre corps pour cartographier, indexer et narrer un « soi » qui semble en métamorphose permanente, lui échappant dès qu’elle cherche à en prendre possession. Elle s’intéresse aux processus d’individuation biologiques, techniques, culturels, individuels et collectifs qui forment le corps. Ces questions anthropologiques et philosophiques prennent forme dans des vidéos, sculptures, installations, performances ou de la réalité virtuelle.
Dans le film Intra Aura Mélodie Mousset entreprend une recherche intense et de longue durée pour approfondir cet intérêt pour le corps, son intériorité phsychique et organique. Elle s’approprie des technologies de visualisation médicales (IRM, impression 3D), les met en rapport avec des rites chamaniques des « curanderos » Mazatèques qu’elle rencontre au cours d’un voyage au Mexique et les combine avec un travail plastique et filmographique.
Avec HanaHana, Mélodie Mousset prolonge cet intérêt pour une narration onirique, une curiosité pour la perméabilité des limites corporelles et un détournement artistique des technologies de pointe. En empruntant la forme du jeu interactif et collaboratif, cette œuvre de réalité virtuelle constitue un environnement fantastique immersif. Chacun.e peut générer des formes et laisser des traces de son passage dans ce désert habité par des sculptures archaïques où fleurissent des mains humaines de toutes tailles et couleurs. Les joueuses et joueurs peuvent se téléporter et multiplier leurs corps à l’extérieur d’eux mêmes et, en version connectée, interagir avec des joueurs qui se trouvent à d’autres endroits. L’espace d’exposition devient ainsi un espace partagé, à la frontière de l’intime et du public, virtuel tout autant que réel.
La combinaison de la musique envoûtante avec l’audio interactif, généré en temps réel par les activités et gestes des joueuses et des joueurs, est également une composante essentielle de cet environnement multi-sensoriel. Dernièrement, Mélodie Mousset fouille particulièrement l’aspect interactif et musical de la réalité virtuelle et cherche à développer un nouveau langage de programmation et d’expérience musicale.
La pratique de Mélodie Mousset s’inscrit profondément dans l’expérience d’un monde contemporain déroutant, défini par ce contraste entre le numérique et le corporel. Avec ses œuvres nous sommes amenés à nous questionner comment se positionnent, dans cet environnement de plus en plus dirigé par les technologies numériques, les corps humains physiques, réels, opaques, vivants, remplis d’organes, porteurs d’une intériorité mentale et psychique, avec des recoins riches d’imagination. Comme le dit l’écrivain et vidéaste américaine Chris Kraus : « Mousset’s associative process is so rich. She fully believes in her own imagination and the logical or alogical digressions that shape an inner life. » (424 mots)
– Claire Hoffmann
Justine Emard (née en 1987) explore les nouvelles relations qui s’instaurent entre nos existences et la technologie.En associant les différents médiums de l’image – photographie, vidéo, réalité virtuelle et performance -, elle situe son travail dans un flux entre la robotique, les neurosciences, la vie organique et
l’intelligence artificielle.
De la création d’un dialogue entre un robot androïde et une psychologue (Erika, film de recherche,2016), à la matérialisation de rêves en impressions 3D (Dance Me Deep, 2020), en passant par une performance avec un moine bouddhiste (Heavy Requiem, 2019), ses œuvres tissent de nouveaux récits, issus d’interactions humains-machines et de l’incarnation de données. Dans Co(AI)xistence (2017), elle met en scène une première rencontre entre deux formes de vies différentes : un danseur/acteur, Mirai Moriyama, et le robot Alter, animé par une forme de vie primitive basée sur un système neuronal, une intelligence artificielle (IA) programmée par le laboratoire de Takashi Ikegami (Université de Tokyo), dont l’incarnation humanoïde a été créée par le laboratoire de Hiroshi Ishiguro (Université d’Osaka).
Grâce à un système d’apprentissage profond, l’IA apprend de l’humain, comme l’humain apprend de la machine, pour tenter de définir de nouvelles perspectives de coexistence. Une esquisse des possibilités du futur apparaît dans Soul Shift (2019) et Symbiotic Rituals (2019), lorsque différentes générations de robots commencent à se reconnaître. Leur apparence minimale autorise une projection émotionnelle, en ouvrant un espace pour l’imagination. Le Japon, que l’artiste a découvert en 2012 et où elle continue de se rendre régulièrement, a sensiblement marqué son travail. Au cours de ses multiples séjours, elle a exploré les connexions entre sa pratique des nouveaux médias et la philosophie japonaise ; en particulier le shintoïsme, qui confère un caractère sacré à la nature. Cette pensée animiste, encore vivace à l’époque des technologies connectées, affleure dans Exovisions (2017), une installation composée de pierres, de bois pétrifiés, d’argile prise dans la roche et d’une application de réalité augmentée. Depuis 2016, elle élabore sa série photographique La Naissance des Robots (2016-2020), dans la perspective anthropologique de l’évolution humaine, entre archéologie du futur et robotique androïde. Depuis 2011, elle montre son travail lors d’expositions personnelles en France, Corée du Sud, Japon, Canada, Colombie, Suède et Italie. Elle participe également à des expositions collectives : 7ème Biennale internationale d’Art Contemporain de Moscou, NRW Forum (Düsseldorf), National Museum of Singapore (Singapour), Moscow Museum of Modern Art (Moscou), Institut Itaú Cultural (São Paulo), Cinémathèque Québécoise (Montréal), Irish Museum of Modern Art (Dublin), Mori Art Museum (Tokyo), Barbican Center (Londres).